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Enquête interne : Les clés d’une procédure réussie

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liaisons sociales et enquete interne

Louise Peugny, notre avocate experte en droit du travail et spécialisée dans le domaine des enquêtes internes, vous présente les clés d’une procédure d’enquête interne réussie, via son interview pour le magazine Liaisons Sociales.

Liaisons sociales Quotidien ‐ L’actualité, Nº 18849, 2 août 2023

Introduction

Harcèlement moral ou sexuel, discrimination, droit d’alerte du CSE, etc. L’enquête interne est devenue une pratique courante au sein des entreprises lorsqu’un salarié dénonce un acte répréhensible commis en leur sein.

  • Comment la mener à bien, en respectant le contradictoire ?
  • Faut-il systématiquement y associer les représentants du personnel ?
  • L’externalisation est-elle une bonne solution ?

Voici des éléments de réponse avec plusieurs avocats spécialisés en droit du travail
et membres de services RH.

Faut-il mener une enquête interne lorsqu’un salarié dénonce, par exemple, des faits de harcèlement moral ou de discrimination ? Si oui, comment s’y prendre ?
Ces questions sont régulièrement posées aux services de ressources humaines des entreprises, qui se trouvent parfois face à des situations complexes.
Les droits de chaque protagoniste, personne soupçonnée comme salarié auteur de la dénonciation, doivent être préservés et l’entreprise est tenue à une stricte obligation de sécurité (C. trav., art. L. 4121-1). Pour y voir plus clair, nous avons interrogé plusieurs spécialistes de l’enquête interne en matière sociale.

L'enquête interne interne, un passage obligé pour l'entreprise.

Lorsqu’un membre du comité social et économique (CSE) exerce son droit d’alerte, l’employeur est tenu de procéder immédiatement à une enquête (C. trav., art. L. 4132-2). Au-delà de cette situation, qu’en est-il ?

« La jurisprudence récente de la Cour de cassation tend à imposer à l’employeur une « obligation » d ’organiser une enquête interne lorsque des faits de harcèlement sont dénoncés par un salarié », considère César Solis, avocat counsel au sein du cabinet Steering Legal.

Selon Jonathan Azerad, avocat associé de Five Avocats, l’enquête interne s’impose à l’employeur en raison de son obligation de sécurité.

«L’absence de réalisation d’une enquête interne, lorsque la situation pouvait la justifier, nous est le plus souvent reprochée en contentieux », confirme Anne Leleu-Été, avocate associée chez Axel avocats. À ses yeux, un « juste équilibre doit être trouvé en pratique, car il peut s’avérer délicat de réaliser des enquêtes à chaque fois qu’un salarié remonte une information qui pourrait s’apparenter à une dénonciation de ses conditions de travail ».

Julien Tournaire, avocat associé du cabinet Barthélémy, pointe le rôle de l’inspection du travail, qui « demande aux employeurs de réaliser des enquêtes » en cas de signalement effectué par un salarié.

Louise Peugny, avocate associée au sein du cabinet Voltaire, note « une prise de conscience des entreprises. À l’origine mal préparées, insuffisamment informées, les entreprises que nous accompagnons se montrent de plus en plus vigilantes ». Constat partagé par Jean-François Beugnon, ancien DRH aujourd’hui avocat : « les entreprises ont désormais conscience que pour se protéger au mieux et faire valoir le respect de leur obligation de santé et de sécurité, l’enquête est un des outils permettant d’y parvenir ».

Quel cadre juridique en dehors du droit d'alerte ?

Comme nous le rappelle César Solis (Steering Legal), une distinction doit être faite entre l’enquête interne résultant du droit d’alerte d’un membre du CSE, pour laquelle un cadre légal existe, et celle engagée « en opportunité » par l’entreprise.

En dehors du droit d’alerte, le Code du travail n’organise pas la conduite de l’enquête. Face à cette absence de cadre légal ou réglementaire, Anne Leleu-Été (Axel avocats) considère que des principes essentiels doivent guider l’action de l’entreprise : impartialité, indépendance, neutralité, confidentialité et loyauté.

À cette fin, elle recommande de structurer sa stratégie, avant le lancement de l’enquête, autour de plusieurs questions :

  • quelles mesures doivent être prises immédiatement ?
  • qui conduit l’enquête ?
  • qui va être concerné/interrogé ?
  • quand démarrer l’enquête ?
  • quel sera l’objet des entretiens ?
  • comment l’enquête sera-t-elle formalisée ?

 
« Rien ne doit être laissé au hasard car, à l’évidence, toute erreur pourrait être reprochée à l’employeur », considère-telle.

Pour sa part, Jean-François Beugnon (JFB Avocat) insiste sur la nécessité de communiquer autour de l’enquête interne, que ce soit au lancement de celle-ci ou lors de sa restitution.

Les représentants du personnel, des partenaires indispensables pour l'enquête interne

Associer les représentants du personnel, incontournable pour réussir une enquête interne ? Jean-François Beugnon (JFB Avocat) en est convaincu. « Il est impératif que les représentants du personnel soient associés à l’intégralité de la démarche d’enquête », considère l’ex-DRH.
Tout comme Valentino Armillei, avocat au sein du cabinet Bredin Prat, pour qui l’association des élus « est en général bien perçue par le juge ».

« Lorsque l’enquête est menée en concertation avec le CSE, les juges lui accordent davantage de crédit », confirme Jonathan Azerad (Five Avocats).
Constat partagé par Louise Peugny (Voltaire Avocats) : « si l’enquête est menée en interne, le recours à une commission mixte, c’est-à-dire composée à la fois d’un représentant de l’employeur et d’un représentant de salariés, est préconisée afin de garantir une certaine impartialité ».

Pour Anne Leleu-Été (Axel avocats), une enquête interne menée conjointement avec les représentants du personnel « peut avoir un véritable intérêt pour rassurer les salariés concernés par l’enquête et donner une bonne impression d’ensemble en cas de contentieux ». « Il n’apparaît pas toujours indispensable voire opportun de faire intervenir les représentants du personnel, surtout si les relations sont tendues », nuance néanmoins l’avocate associée.

Le respect du contradictoire, un impératif pour l'enquête interne

Principal enjeu dans la réalisation d’une enquête interne : le respect du principe du contradictoire, qui doit guider les investigations menées au sein de l’entreprise.

Anne Leleu-Été (Axel avocats) souligne son appréciation « assez souple » par la jurisprudence récente. « Pour autant, dans un objectif de neutralité, d’impartialité et d’objectivité, il est indispensable de permettre au salarié mis en cause de comprendre les raisons de l’enquête et les faits reprochés », complète l’avocate associée.

« Les personnes auditionnées doivent se sentir écoutées et en confiance », considère Louise Peugny (Voltaire Avocats).
Comment y parvenir ? « L’attitude de l’enquêteur doit demeurer neutre et il convient d’éviter de mettre en doute les propos des personnes auditionnées. Il n’y a pas à chercher à les mettre en difficulté, mais uniquement à recueillir leur version des faits de la façon la plus précise et détaillée possible ».

Jean-François Beugnon (JFB Avocat) insiste, quant à lui, sur le rôle des comptes rendus d’audition, contresignés par le salarié, afin qu’il atteste de la véracité de ses propos. Par ailleurs, à ses yeux, toute enquête doit être clôturée par un compte-rendu détaillé et objectif, diffusé ensuite aux représentants du personnel afin qu’ils puissent se prononcer sur celui-ci, poser des questions complémentaires ou apporter des éléments de précision.

L’audition du salarié soupçonné, une décision au cas par cas

Selon Nelly Morice, avocate counsel au sein du cabinet Capstan Avocats, « l’audition de la personne objet du signalement apparaît indispensable afin que l’enquête menée le soit de la manière la plus loyale possible et dans le respect du principe du contradictoire ». Elle reconnaît néanmoins que, dans certaines situations, cette audition n’est pas nécessaire « tant les faits sont graves : par exemple une agression sexuelle devant témoins. Dans ce cas, le salarié concerné sera mis à pied à titre conservatoire et entendu lors de l’entretien préalable à sanction. L’enquête permettra quant à elle de déterminer s’il y a eu d’autres victimes par le passé ».

Anne Leleu-Été (Axel avocats) rappelle néanmoins que l’audition du salarié soupçonné, dans le cadre d’une enquête interne, n’est pas imposée par la Cour de cassation. « Il s’agit d’une discussion d’opportunité à avoir en début d’enquête », estime l’avocate associée, en nous confiant qu’elle a tendance à la recommander à ses clients. En tout état de cause, « il convient de garder à l’esprit que le salarié soupçonné a le droit de refuser de participer à l’enquête, à charge pour les enquêteurs d’en tirer les conséquences », rappelle Louise Peugny (Voltaire Avocats).

La confrontation, une pratique à proscrire

De l’avis général, l’organisation d’une « confrontation » entre la personne soupçonnée et le salarié à l’origine du signalement n’est pas souhaitable.

« Elle peut être très difficile à vivre pour la personne auteur du signalement et ne permettra pas de confronter les points de vue de manière utile », estime Nelly Morice (Capstan Avocats).

« Cela ne relève pas de la mission de la personne qui réalise l’enquête interne, et peut même être risqué au regard d e s obligations de protection de la santé et de la sécurité de l’employeur », considère Anne Leleu-Été (Axel avocats).

« Ce n’est nullement recommandé et très peu utilisé », renchérit Jonathan Azerad (Five Avocats).

« Les confrontations doivent être proscrites. Une audition interne n’est pas un interrogatoire de police et la commission d’enquête n’est pas un tribunal », synthétise finalement Louise Peugny (Voltaire Avocats).

Dans l’hypothèse où une telle confrontation est organisée, Valentino Armillei (Bredin Prat) appelle à la vigilance : « il faut que les deux protagonistes soient d’accord et créer les conditions d’un échange serein, c’est-à-dire très encadré et formel pour éviter tout dérapage ».

En cas de simple « difficulté relationnelle », Julien Tournaire (Barthélémy Avocats) ne voit pas de contre-indication à l’organisation d’une confrontation entre les deux protagonistes : « une médiation commune, sous la forme d’un « entretien de progrès » peut s’envisager avec la prise d’engagements écrits et signés de part et d’autre ».

L’externalisation de l’enquête interne, un remède miracle ?

Le recours à un prestataire externe pour mener l’enquête interne emporte l’adhésion.

Selon Jonathan Azerad (Five Avocats), l’externalisation de l’enquête « est souvent primordiale pour des raisons d’objectivité et de neutralité ».

Anne Leleu-Été (Axel avocats) « préconise de faire appel à un cabinet d’avocat qui n’est pas le conseil régulier de l’entreprise. Cela permet notamment d’éviter les situations de conflits d’intérêts ou les situations inconfortables ». À ses yeux, le recours à un tiers « paraît être une bonne solution lorsque l’entreprise peut se permettre de financer ce type d’intervention et si les enquêteurs sont réellement expérimentés et bien informés de l’organisation dans laquelle ils vont intervenir pour comprendre le contexte ».

« Il s’agit d’un gage d’impartialité, qui peut « rassurer » les protagonistes », confirme Louise Peugny (Voltaire Avocats). Selon elle, « une enquête réalisée par un tiers extérieur à l’entreprise a plus de « poids » qu’une enquête menée en interne ».
Opinion partagée par Valentino Armillei (Bredin Prat), pour qui « le recours à un tiers est une garantie d’indépendance majeure et améliore sans aucun doute la valeur probatoire du rapport qui découle de l’enquête ».

Nelly Morice (Capstan Avocats) nuance néanmoins l’enthousiasme de ses confrères. « Ce recours n’est pas indispensable dans la plupart des cas. Il peut être souhaitable d’externaliser l’enquête, selon les faits dénoncés et les personnes concernées, afin de s’assurer de la libération de la parole des salariés ou tout simplement afin que les faits soient plus facilement objectivés. Cela peut être utile également lorsque le service RH est concerné de trop près par les faits », estime l’avocate counsel.

Approche similaire pour Julien Tournaire (Barthélémy Avocats). L’avocat associé insiste, en cas d’externalisation, sur la nécessité de recourir à un tiers doté d’une connaissance juridique solide. « Trop souvent, des prestataires non spécialisés livrent une étude du climat social dans le service ou l’entreprise ou identifient des éléments générateurs de stress. Or, l’enquête interne doit analyser des rapports humains et rester dans une logique nominative si des décisions individuelles doivent être prises ».

Mode opératoire de l'enquête interne selon la jurisprudence

En cas de signalements de faits de harcèlement, l’employeur doit en vérifier immédiatement la réalité, la nature et l’ampleur, notamment en diligentant les enquêtes et investigations nécessaires, car en restant inactif il risque de se voir reprocher une abstention fautive au regard de son obligation de sécurité (v. Cass. soc., 27 nov. 2019, nº 18-10.551 ; Cass. soc., 29 juin 2011, nº 09- 70.902).

L’objectif premier de l’enquête interne étant de vérifier la véracité des faits, la Cour de cassation fait preuve d’une certaine souplesse lorsqu’il s’agit de traiter de sa recevabilité.
Ainsi, elle n’impose pas à l’employeur :

 

Par ailleurs, tant que l’employeur n’a pas eu recours à des modes d’investigation illicites, la Cour de cassation considère que le rapport d’enquête interne est un mode de preuve valable, qui peut être produit pour étayer le licenciement d’un salarié auteur d’agissements répréhensibles (Cass. soc., 29 juin 2022, nº 21-11.437 B ; v. l’actualité nº 18595 du 20 juill. 2022).

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